Précarité alimentaire : vers une carte vitale de l’alimentation ?
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Avec l’accroissement de la précarité alimentaire, et forts du constat que l’aide alimentaire a atteint ses limites, des collectifs expérimentent un nouveau modèle : la Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA). Que peut-on en attendre ?
Face à l’accroissement de la précarité alimentaire, et fort du constat que l’aide alimentaire a atteint ses limites, plusieurs chercheurs et acteurs de terrain proposent de mettre en place une Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA).
Le principe : intégrer l’alimentation dans le régime général de la sécurité sociale, en proposant une carte vitale de l’alimentation qui donnerait accès à des produits conventionnés, pour un montant de 150€ environ. Longtemps théorique, cette démarche est désormais expérimentée dans plusieurs territoires, révélant de nouvelles questions, se heurtant aussi, parfois, à des difficultés insoupçonnées. Où en sont les expériences de création d’une Sécurité Sociale de l’Alimentation ? Se heurtent-elles à des verrous – conceptuels, juridiques, financiers, administratifs, éthiques… ? Et, le cas échéant, quelles stratégies et pistes déploient les acteurs pour les faire sauter ?
Avec
David FIMAT, Vers un Réseau d’Achat en Commun (VRAC), coordinateur du Collectif Acclimat’action qui initie un projet de SSA en Gironde
Franck LE MORVAN, Inspecteur général des affaires sociales, président du groupe de concertation de l’avis n°91 du Conseil National de l’Alimentation « Prévenir et lutter contre la précarité alimentaire »
Dominique PATUREL, chercheuse à l’UMR Innovation INRAE, coordonnatrice avec Patrice NDIAYE de « Le droit à l’alimentation durable en démocratie », fruit du séminaire « Démocratie alimentaire » (Ed. Champ social) et de « Manger. Plaidoyer pour une sécurité sociale de l’alimentation » (Ed. Arcane 17)
Sarah COHEN, ingénieure de recherche à l’INRAE à l’UMR Agir, membre du collectif « Pour une Sécurité sociale de l’alimentation » et du projet Caissalim-Toulouse.
Nicolas DA SILVA, chercheur au Centre d’économie de l’Université Paris 13 et auteur de « La bataille de la Sécu » (Ed. La fabrique), dans lequel il retrace l’histoire conflictuelle d’une institution dont les logiques de gouvernance et finalités s’avèrent être aujourd’hui bien loin des principes fondateurs.
Cette rencontre-débat appartient au cycle Borderline, une série de podcast coproduits par la Mission Agrobiosciences-INRAE et le Quai des savoirs
Sarah Cohen
Diplômée de l’Ecole supérieure d’agro-développement international, Sarah Cohen a multiplié les expériences, en France comme à l’étranger, sur les thématiques qui lui sont chères : alimentation, agriculture durable, agroforesterie, pêche, eau ou encore pédagogie. A la Bergerie nationale de Rambouillet, elle coordonne pendant près de trois ans un projet européen sur les systèmes alimentaires locaux et durables, en vue de développer des outils pédagogiques, en plus de co-animer le CASDAR IDEA4 (Indicateurs de Durabilité des Exploitations Agricoles), sur le développement et l’enseignement de la méthode IDEA4. Son crédo ? « Contribuer à la préservation de notre environnement et à la prise de conscience collective. »
Outre ses divers engagements professionnels, elle s’y consacre également au sein de l’association Ingénieur.e.s sans frontières (ISF) – Agrista, qu’elle copréside. Un projet en particulier fait sens à ses yeux : l’instauration d’une Sécurité sociale de l’alimentation. C’est donc tout naturellement qu’elle propose au centre INRAE Occitanie-Toulouse, où elle est embauchée comme ingénieure de recherche, de coordonner une expérimentation locale de caisse alimentaire. C’est ainsi que « Caissalim-Toulouse » voit le jour, pour répondre conjointement aux enjeux posés par les difficultés rencontrées par les agriculteurs, au droit à l’alimentation et à la préservation de l’environnement.
David Fimat
Accès à l’alimentation, transmission et systèmes agricoles durables, c’est la règle de trois de David Fimat. Diplômé de l’Université Bordeaux Montaigne et de l’Institut Pluridisciplinaire d’Etudes sur les Amériques à Toulouse (IPEAT), il coordonne pendant six ans la transmission et la création d’activés agri-rurales au Réseau CIVAM, après avoir été chargé de mission circuits courts et restauration collective à Agrobio Gironde.
En septembre 2020, c’est en tant que coordinateur « Accès à l’alimentation » et « Urgence climatique », qu’il rejoint l’association Vers un Réseau d’Achat en Commun (VRAC). Deux thématiques qu’il porte de front au sein du collectif girondin « Acclimat’action ». Son crédo ? L’accès de toutes et tous à une alimentation durable et de qualité. Œuvrant dans les quartiers populaires et les territoires ruraux girondins, le collectif s’implique avec 40 citoyens, le Conseil Départemental de Gironde et la Ville de Bordeaux dans la création d’une Sécurité sociale de l’alimentation financée par des cotisations et la mise en place de caisses locales.
Dominique Paturel
Dominique Paturel est docteure en sciences de gestion et tout récemment retraitée de l’UMR Innovation (Inrae Montpellier). Son travail porte sur l’accès à l’alimentation durable pour toutes et tous et plus particulièrement pour les familles à petits budgets et les personnes en situation de précarité. En 2010, elle a animé, dans le cadre de la thématique « Agriculture et alimentation » du réseau rural français, un axe « Circuits courts et cohésion sociale ». Elle a ainsi participé à la conception et la mise en œuvre d’un dispositif expérimental et innovant visant à approvisionner en fruits et légumes frais régionaux les Restos du cœur de l’Hérault. Dès lors, elle s’intéresse de longue date au dispositif d’aide alimentaire en France et en Europe, ses évolutions et n’a de cesse d’en pointer les limites. Comme en 2014, lors de son intervention au cycle « Histoire de… » de la Mission Agrobiosciences-Inrae, « L’aide : alimentaire en bout de course ? »
En 2017, elle monte, aux côtés de Patrice Ndiaye , le séminaire de recherche-action « Vers une démocratie alimentaire : quel périmètre d’un droit à l’alimentation durable ? » qui débouchera ensuite sur la naissance du collectif « Démocratie alimentaire ». Lequel participe activement à l’élaboration de la Sécurité Sociale de l’Alimentation appuyée sur les trois piliers rassemblant le réseau SSA : démocratie alimentaire, financement par la cotisation, accès universel. Parmi les nombreuses publications de Dominique Paturel, citons l’ouvrage « Le droit à l’alimentation durable en démocratie » (Champ social, 2020), coordonné avec Patrice Ndiaye, Manger. Plaidoyer pour une sécurité sociale de l’alimentation (Arcanes 17, 2021) écrit avec la journaliste Marie-Noëlle Bertrand ou encore sa participation au rapport pour le Think Tank Terra Nova « Vers une sécurité alimentaire durable : enjeux, initiatives et principes directeurs » (2021, avec France Caillavet, Nicole Darmon, Christophe Dubois, Catherine Gomy, Doudja Kabeche, Dominique Paturel, Marlène Perignon).
Franck Le Morvan
Ancien élève de l’ENS et de l’ENA-INSP, Franck Le Morvan travaille depuis trente ans sur les politiques sociales. Après plusieurs postes à la Direction de la sécurité sociale et au Conseil d’Etat, il rejoint en 2012 la Direction générale de la cohésion sociale où il est chargé de mener la réforme du droit de l’autorisation dans le domaine social et médico-social. Ce jusqu’en 2018, où il est nommé inspecteur général des affaires sociales. En 2019, c’est depuis les questions sociales qu’il aborde pour la première fois les thématiques liées à l’alimentation, à travers un rapport de l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) coécrit avec Thomas Wanecq, dédié justement à la lutte contre la précarité alimentaire.
Leur rapport s’intéresse déjà à la Sécurité sociale de l’alimentation (SSA), une idée jugée « particulièrement stimulante », d’autant qu’il « serait parfaitement logique qu’un bien de première nécessité comme l’alimentation soit garanti dans un cadre mutualisé ». En 2022, Franck Le Morvan préside le groupe de concertation de l’avis n°91 du Conseil National de l’Alimentation « Prévenir et lutter contre la précarité alimentaire » : la SSA y fait l’objet de plusieurs points de discussion, comme son coût, la question de l’universalité de l’aide ou ses conséquences sur l’accompagnement social des personnes en situation de précarité. L’avis recommande l’expérimentation de la SSA au sein des régimes de base de sécurité sociale.
Nicolas Da Silva
Nicolas Da Silva est maître de conférences en sciences économiques à l’université Sorbonne Paris Nord et s’intéresse aux failles de nos politiques de santé, ainsi qu’au dépassement de la logique capitaliste qui prévaut en la matière. Vaste chantier, qu’il aborde en premier lieu à travers l’examen minutieux de l’évolution historique de la médecine libérale. Sa thèse, « Instituer la performance. Une application au travail du médecin », explore la multiplication des dispositifs d’évaluation chiffrée de la pratique médicale et son corollaire, sa mise en indicateurs. L’injonction à la performance s’insinue dès lors dans les cabinets « au détriment des intérêts des patients et de médecins de première ligne ». Il conclut que cela « ne conduit pas à améliorer la qualité des soins [ni] à renforcer la maîtrise des dépenses de santé ». En 2022, c’est sur une institution hors norme qu’il entend lever le voile, avec la publication de La bataille de la Sécu (ed. La Fabrique).
Dans cet ouvrage, l’économiste retrace « l’histoire longue et conflictuelle » de l’étatisation de la Sécurité sociale en tant qu’instrument de contrôle de la population, en opposition à la « Sociale », fondée sur l’autogouvernement du système de santé par les intéressés eux-mêmes. Une histoire, en clair, de l’affrontement de deux visions antagonistes en matière de protection sociale, très loin de l’idée d’un consensus national inédit qui aurait émergé aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Au-delà des nombreux articles scientifiques qu’il consacre à ces questions, Nicolas Da Silva contribue également à des médias comme Alternatives Economiques, Le Monde Diplomatique ou encore La vie des Idées.